Auteur : Samuel Mbaïnarem, Tchad
Après une année d’étude en biologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Samuel, 22 ans, est actuellement étudiant à la Faculté de médecine de l’Université de Bamako, afin de réaliser son rêve depuis sa plus tendre enfance : devenir médecin. Il est assistant de recherche du projet SOHA depuis le tout début. Pour le joindre : samuelmbainarem@gmail.com
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Assistant de recherche pour le projet SOHA dès janvier 2015, j’ai participé à l’élaboration du grand questionnaire SOHA sur l’expérience universitaire en Afrique et Haïti. Ensuite, j’ai été invité à participer activement à la collecte des réponses auprès des étudiants. J’étais en ce moment à Dakar pour mes études à l’Université Cheikh Anta Diop. Donc naturellement, il était question que je commence la récolte dans mon Université. Dans ce billet, je vous raconte un peu comment tout cela s’est passé. D’abord au Sénégal, ensuite au Tchad puis au Mali.
Roudou ndo gue dji ra koula doh ne deudji gue bohi le SOHA gue mira seude lem, mi nan lemlé, dji deujim kar moun doh koula djegue dohde. Leubé deun lé, maou ne ndo deuh Dakar, Université Cheik Anta Diop deuh. Mounda koudou ra koula lé Université de leum léya. Béh ba mi gue kor ne reou ne dje gue desseuh lé kar si odjeh. Mounda koudé Sénégal, bah maouné Tchad, sar mi tché né Mali (langue Ngambaye, peuple Sara du Tchad).
Bien avant l’élaboration du questionnaire, nous avions déjà mis en place une équipe au Sénégal, pilotée par Mme Diouf, co-chercheuse du projet, et nous avions aussi créé un groupe Facebook dans le but d’échanger et de partager des idées. Un jour de mai 2015, j’ai posté dans ce groupe une annonce selon laquelle nous voulions nous rencontrer le lendemain, dans les locaux de l’EBAD (École des bibliothécaires, archivistes et documentalistes) où la majorité des membres de l’équipe étudient.
Au jour fixé, j’ai reçu des SMS des collègues m’annonçant leur indisponibilité, certains à cause de leur travail et d’autres pour des cas sociaux. Tout de même, nous avons tenu la réunion avec ceux qui étaient présents. C’est au cours de cette réunion que j’ai fait savoir aux autres collègues le travail qui serait le nôtre : la collecte des réponses au grand questionnaire que le projet SOHA venait de mettre sur pied. Sans tarder, j’ai brièvement expliqué de quoi il s’agissait, puis nous avons ensemble établi un plan d’action. Le soir même, j’ai posté le compte rendu de cette réunion sur notre groupe Facebook pour ceux qui n’avaient pas eu le temps d’y être. J’ai aussi appelé Mme Diouf sur son cellulaire pour lui résumer ce que contenait notre plan d’action. Elle en était très contente.
L’équipe comptait en tout et pour tout dix membres parmi lesquels quatre étudiantes et six étudiants. Nous avons formé cinq groupes de deux personnes pour mieux nous repartir dans les différentes facultés qui constituent cette grande université. J’ai imprimé avec ma coéquipière de nombreux exemplaires du questionnaire et du formulaire d’adhésion que j’ai distribués à chaque groupe de deux. Au jour fixé, on s’était tous regroupés dans la grande salle de l’EBAD, prêts à partir sur le terrain.
Comme c’était en période de cours, nous avons rapidement trouvé des étudiants dans les différentes facultés qui étaient disponibles pour remplir le questionnaire que nous leur avons présenté. La première difficulté que nous avons rencontrée était de trouver des étudiants post-gradués de Master et de doctorat. Pour ceux de la Licence, pas de problème, nous en avons beaucoup eus.
Deuxième difficulté : une fois que nous réussissions à mettre la main sur un étudiant, il se montrait d’abord
indisponible, expliquant que le questionnaire était trop volumineux et que ça lui prendrait tout son temps. Mais gentiment, je lui faisais comprendre qu’il ne s’agissait pas de tout lire ni de répondre à tout. Que les questions étaient classées par cas et qu’il n’aurait qu’à cocher la case qui semblait correspondre à sa situation ou son niveau. Comme je comprenais aussi un peu le Wolof, je taquinais les étudiants pour qu’ils prennent rapidement plaisir à s’asseoir à côté de moi pour voir ce que ce questionnaire contenait.
Avant de leur remettre le questionnaire, je leur posais d’abord la question de savoir s’ils connaissaient le projet SOHA. Certains me disaient : « oui, bien sûr, par l’intermédiaire de notre grand groupe Facebook », alors que d’autres répondaient non, avec un grand étonnement au visage. Sans tarder, je leur disais que le projet SOHA est un grand projet international qui vient d’être lancé pour tenter d’introduire la Science ouverte dans les universités d’Afrique francophone et d’Haiti. Très rapidement, la plupart nous rétorquaient de cette manière : « C’est quoi, votre Science ouverte »?
Tout en souriant, je leur disais : « c’est pas ma science ouverte, mais plutôt notre science ouverte ». Puis, je leur disais ceci:
La science ouverte s’entend de manière générale et simple comme étant un ensemble de normes et de savoir-faire qui, dans leur grande diversité, essaient de définir un cadre normatif et alternatif à la science conventionnelle. La science ouverte, c’est aussi une nouvelle manière de construire et de partager la connaissance, bien sûr au service du bien commun. Cependant, soyez rassurés que le questionnaire que nous allons vous remettre à l’instant est systématiquement anonyme. Il sera question de faire mention de vos parcours universitaires, motivations, compétences acquises au cours de vos études mais aussi vos ressources de travail et du rapport entre la science ouverte et votre pays.
Avant que je ne vous le remette, il est d’une importance capitale que vous deveniez d’abord membre du Collectif SOHA en remplissant rapidement cette petite fiche (je leur montre la fiche d’adhésion) qui nous permettra de communiquer avec vous et surtout de vous faire parvenir les résultats de cette grande enquête. Membre du Collectif SOHA, il vous sera accordé la possibilité de publier un chapitre dans un ouvrage collectif ou individuel sur la plateforme de publication SOHA, de participer à des formations gratuites en ligne, par exemple sur l’écriture d’un projet de recherche mais aussi la possibilité de participer à l’analyse des données de cette enquête.
Je leur remettais le questionnaire après qu’ils ont rempli le formulaire d’adhésion. Je les aidais en leur expliquant les parties qui leur semblaient un peu complexes. En remplissant, ils oubliaient même notre présence tellement le questionnaire captait leur attention, requérant un maximum de concentration. Quand ils avaient fini de remplir, ils nous remerciaient de l’opportunité que nous leur avions offerte de dire leur mot et de comprendre aussi combien le système des universités africaines nécessitait de réforme. Sans doute leur réponse y servirait, ce sur quoi reposait leur fierté.
En partant, la plupart demandaient si le projet offrait des bourses d’étude. Je leur disais non pour l’instant, mais pourrait à l’avenir obtenir des bourses auprès de grandes organisations pour les étudiants qui choisiraient de faire de la science ouverte au niveau supérieur. Ensemble, nous nous séparions dans un climat très enthousiaste. Ainsi de suite. nous avons continué de recruter des répondants au questionnaire.
A l’heure de pause, nous nous retrouvions tous au sein de l’EBAD pour partager les difficultés. En ma qualité de chef d’équipe, je donnais des conseils et directives pour mieux aborder les étudiants. Au final, mes collègues me disaient que ça y était, ils avaient déjà réussi. A la fin de l’heure, je ramassais tous les questionnaires répondus. Le soir, à la maison, je faisais toujours le compte rendu de la journée que je mettais sur notre groupe. Je joignais toujours Mme Diouf pour lui en faire part. Je retrouvais aussi chaque soir Florence (Piron) et Thomas (Mboa) sur Skype pour leur faire le compte rendu et leur demander éventuellement des conseils.
Cependant, un autre travail restait à venir : la saisie de toutes ces réponses dans la base des données. C’est là ou j’étais très souvent confronté à des difficultés autres que celles rencontrées sur le terrain. Je me rendais compte que certaines questions restaient sans réponses. Il fallait en faire mention et tenter de repartir sur le terrain le lendemain retrouver l’étudiant ou l’étudiante. Cela m’a amené à demander chaque fois si possible le contact du répondant pour qu’au cas où il manque quelque chose, je puisse le joindre pour le faire compléter.
Nous avons également, mes collègues et moi, organisé sous la direction de Mme Diouf une journée SOHA dans laquelle j’ai fait une petite conférence pour présenter le projet SOHA aux étudiants qui étaient d’ailleurs très nombreux (majoritairement de l’EBAD); nous avons aussi récolté beaucoup de réponses ce jour-là. Ma conférence était axée sur le libre accès aux publications scientifiques. J’ai, de manière précise, fait comprendre à mes interlocuteurs que la meilleure façon de conserver ses travaux était de les mettre en libre accès. Cela profiterait aussi aux générations futures dans leurs travaux de recherche. Nous avons clôturé cette journée avec beaucoup de photos de famille qui furent ensuite postées sur le grand groupe Facebook.
A la fin de mes examens, je décidais de rentrer en vacances chez moi au Tchad, principalement à Moundou (capitale économique du Tchad), ma ville natale. Quelle grande joie de revoir la famille, surtout ma soeur et mon grand père qui me manquait tellement.
Puis, après quelques jours, j’exprimais dans un mail que j’adressais à Florence le désir de faire circuler le questionnaire à l’Université de Moundou. Elle était d’accord et a mis tous les moyens nécessaires à ma disposition. Comme j’étais chez moi, ça paraissait beaucoup plus facile que partout ailleurs.
J’ai d’abord décidé de faire circuler un SMS à mes amis du Lycée qui étaient inscrits à l’Université de Moundou pour leur fixer rendez-vous dans une grande maison de la culture dénommée Centre Martin Luther King, communément connue sous le nom de ATNV (Association Tchadienne de Non-Violence). J’ai réussi à avoir 15 numéros de téléphone. Mon SMS disait :
Bonjour à toutes et à tous! C’est Sam, votre ancien collègue du Lycée Source de Développement. Je suis rentré en vacances et je vous écris ce message pour tenter d’avoir un RV avec vous dans les locaux de l’ATNV pour une toute petite information qui, sûrement, vous intéressera. Le lendemain à 15h. ça vous va? Comme ça me fera plaisir de vous revoir!!!
Tout le monde a répondu positivement la même soirée. Étonnant!!! Faut-il dire que je suis aimé chez moi… Rires!!!
Le lendemain, je suis arrivé avec un peu de retard, car j’avais acheminé ma nièce à l’hôpital d’urgence. Quand je suis rentré dans la salle, j’ai vu que tout le monde était déjà bien confortablement installé et je lisais en même temps la joie des retrouvailles dans les visage de tous et toutes. Comme ce fut émouvant!!! Puis une voix surgit du milieu et me dit : « Sam, tu n’as jamais été en retard, à croire que tu as quand même changé ». Nous en avons tous ri un bon moment mais au fond cela m’embarrassait, car faut-il le reconnaitre, je déteste le retard comme jamais.
Puis, appelant au silence, j’ai commencé à présenter sommairement le projet SOHA. Cette fois-ci, je parlais ma langue maternelle (le Ngambaye), comprise par tous ceux et toutes celles présents. Ensuite, j’ai fait comprendre combien il était nécessaire de bien vouloir adhérer au Collectif et de répondre au questionnaire. J’ai plus particulièrement axé mon argumentation sur le fait que le questionnaire donne la possibilité aux étudiants de faire entendre leur voix au niveau international, de partager leurs difficultés mais aussi de faire des suggestions pour la réforme de leur Université. J’ai expliqué qu’il leur sera accordé, après avoir répondu au questionnaire, la possibilité de publier leurs travaux de recherche, de participer à distance à des projets et éventuellement de gagner des bourses pour ceux qui choisiront de faire de la science ouverte aux études supérieures.
Tout comme à Dakar, en tête de liste des questions : « c’est quoi la science ouverte? ». Je ne me lasse pas de répondre à cette question tout à fait logique, mais bien sûr en diversifiant ma réponse en fonction du niveau des étudiants et surtout en tenant aussi compte du contexte du pays où je me trouve.
Nous avons terminé en fixant un RV à l’unanimité dans un cyber que tout le monde connaissait, en face de notre Lycée. J’ai demandé à tout le monde de faire circuler la nouvelle pour qu’on soit un peu plus nombreux. Au jour fixé, on était au nombre de vingt-huit, parmi lesquels douze étudiantes. Comme il n’y avait pas assez d’ordinateurs pour tout le monde, je nous ai divisés en quatre groupes.
Je me suis alors rendu compte que seuls deux étudiants avaient une adresse mail, ce qui m’obligea à créer un compte Gmail pour tout le monde. Cela nous a pris un peu plus de temps que prévu. J’ai ensuite expliqué comment répondre au questionnaire. À peine après avoir commencé, un collègue m’interpella : « Eh Sam, viens là. Pour moi, par exemple qui fait les Mathématiques, je ne vois pas la case qui correspond à ma discipline comme mentionné ». J’ai en effet vu qu’il n’y avait pas vraiment de manière claire et simple une case adéquate, ce qui fut l’objet d’une longue discussion le soir même avec Thomas Mboa sur Skype. Je voulais qu’on mette la case « Sciences Exactes et Appliquées » pour englober les mathématiques, la physique et la biologie. Mais il m’a démontré l’inutilité de cette idée, étant donné le grand nombre de réponses déjà enregistrées.
De temps en temps, je faisais la ronde auprès de mes amis au cyber pour répondre à ce genre de questions techniques. Mais peu après, je pouvais entendre une mouche voler tellement tout le monde était concentré. Cela nous avait pris deux jours et demi pour tout finir.
À la fin, tout le monde m’a remercié de l’occasion que je leur avais offerte et nous en étions tous fiers. Un de nos collègues a profité de l’occasion pour nous inviter tous à diner le week-end chez lui. Et autour de la table, nous avons mangé et bu à nos retrouvailles et surtout au progrès de SOHA.
Plus la peine de faire le travail de saisie, car toutes les réponses étaient en ligne.
Après mûre réflexion, il m’est venu à la tête l’idée de proposer à Florence la possibilité d’en faire autant pour l’Université de N’Djamena et celle d’Abéché aussi. Ceci pour éviter qu’on ait une interprétation erronée de la situation des étudiants tchadiens, étant donné les conditions très variées dans chaque grande ville. Convaincu de la nécessité de le faire le plus vite possible avant que mes cours et d’autres occupations viennent m’en empêcher, je me mis à écrire un long mail à Florence pour lui présenter mon plan d’action qui fut immédiatement approuvé. Sauf qu’elle a manifesté un peu de recul à cause des djihadistes qui faisaient rage à ce moment-là au Tchad. Mais je l’ai convaincue avec l’argument selon lequel il était d’une importance capitale de faire entendre la voix de mes compatriotes d’ailleurs à cette grande enquête qui ne se refera pas de sitôt. Je l’ai aussi rassurée et je lui promis que rien ne m’arrivera. Elle me répondit en disant que si c’était vraiment ce que je souhaitais, j’avais toute sa bénédiction.
Le lendemain matin, j’informai mon oncle Prosper, enseignant à l’École Normale Supérieure de N’Djamena, de mon voyage en lui demandant la possibilité de faire circuler la nouvelle aux étudiants. Il en était très fier. J’ai rapidement pris avec moi quelques effets et à 18 h, je quittais Moundou pour N’Djamena. Arrivé le lendemain à 6h du matin, je fus accueilli par mon oncle Prosper qui était déjà là à la gare. Il m’a ensuite conduit chez lui. Je me suis reposé un peu, mais comme je jouais la montre, je lui ai exprimé mon désir d’aller à l’université poser des affiches pour inviter les étudiants qui étaient à ce moment en vacances, mais qui venaient de temps en temps à l’Université pour prendre des nouvelles, à une présentation du projet SOHA. Mon oncle m’a prêté sa voiture, ce qui m’a permis de faire le tours des Universités de N’djamena, publiques et privées, pour poser mes affiches. Cela m’a pris toute la journée et j’étais rentré très fatigué. Mais sans tarder, j’ai, après avoir diné, commencé à préparer ma présentation.
Au jour fixé, je pris la précaution d’être à l’heure. Quelques minutes après, mon oncle m’a suivi. Il a appelé les étudiants au calme avant de me laisser présenter le projet SOHA dans toutes ses dimensions. Ensuite, j’ai sorti le questionnaire avec le formulaire d’adhésion que j’expliquais aussi.
Comme d’habitude, la même question en tête de liste : « C’est quoi, la Science ouverte? » À croire que c’est un concept vraiment nouveau au Tchad et peut-être en Afrique aussi. Il faut reconnaitre que la majorité des étudiants africains s’estiment mal informés sur la Science ouverte. Mais comme toujours, je répondais avec joie à cette question, étant donné sa légitimité et sa pertinence. Ensuite, j’ai procédé à la distribution des questionnaires et adhésions.
À la différence des étudiants de l’Université de Moundou, beaucoup d’étudiants de N’Djamena avaient déjà entendu parlé du projet SOHA grâce au grand groupe Facebook; donc les choses allèrent vite et de manière formidable. Je faisais la ronde dans la salle pour les aider avec les questions qui paraissait un peu obscures pour certains. Les étudiants qui ont manqué de questionnaires le réclamaient et nous avons été obligés de fixer rendez-vous le lendemain pour que j’en apporte assez pour tout le monde. Tout a bien fini et nous en étions tous très fiers.
Le soir même, je fis part à mon oncle de mon idée de voyage vers le Nord du pays pour continuer l’enquête. Sans tarder, il me dit non à cause des terroristes qui faisaient rage dans cette zone. Mais me connaissant comme quelqu’un qui ne renonce jamais, il a fini par me donner son accord, car je l’ai convaincu que mon voyage était nécessaire. Je l’ai aussi rassuré que je reviendrais comme je partais. Il faut reconnaitre que je sentais une petite peur en moi, car la veille même de mon départ, ces sauvages avaient attaqué un village voisin d’Abéché, la ville où je voulais me rendre. J’ai toujours développé, depuis que je suis tout petit, cette philosophie catholique selon laquelle tout ce qui arrive est la volonté de Dieu. Et en sa qualité de bon père, il ne voudra pas le mal de son fils, d’où son devoir de le protéger. Cette théorie m’a toujours aidé à surmonter mes difficultés. Alors je n’avais plus peur car je savais que rien ne m’arriverait. J’ai rapidement pris mon téléphone portable pour appeler un ami de la Terminale qui étudiait à Abéché et lui dire que je venais chez lui pour trois jours. Il était très content de me revoir, et moi aussi. J’appelais en suite l’Agence pour faire ma réservation et c’est ainsi que j’ai quitté le lendemain matin à 5 h. Mon oncle qui m’avait déposé à la gare me quitta en me disant voyage bien et bonne chance.
Effectivement, j’ai eu de la chance. Car tout près de moi dans le car était assis le Secrétaire Général de l’Association des étudiants d’Abéché. Je l’ai identifié grâce à une conversation téléphonique dans laquelle il expliquait à quelqu’un comment il comptait procéder pour une activité. Je l’invitais donc à manger un petit morceau de viande que la femme de mon oncle m’avait emballé pour la route. Ensuite, nous avons fait connaissance et j’en ai profité pour lui parler du projet SOHA qui faisait même l’objet de mon voyage. Tout de suite, il me dit : « mais tu n’as pas peur? Tout le monde parle des terroristes, et d’ailleurs peu de gens voyagent vers le Nord ». Je lui ai tout simplement répondu : « Et vous qui y vivez? Vous n’êtes pas des personnes? ». On a un peu rigolé et il m’a fait comprendre qu’il ne pouvait pas m’aider directement pour les questionnaires, mais qu’il pouvait me mettre en contact avec des étudiants qui me donneraient un coup de pouce.
La route était longue, on arriva à minuit. Comme je ne connaissais pas la ville et en raison de l’insécurité permanente, je suis allé dormir chez lui. Mon ami est venu me chercher le lendemain matin. Sans tarder, je contactais les numéros que m’a donnés le Secrétaire général pour fixer des rendez-vous. Mon ami m’a ensuite accompagné à l’Université pour poser mes affiches. Beaucoup d’étudiants étaient aussi là pour les informations.
Au jour fixé, le grand amphi était rempli quand je fis mon entrée. J’étais tellement étonné et je débordais de joie de voir les gens répondre ainsi à mon appel.
Je commençai à les saluer en arabe (langue parlée dans cette région) et c’est ainsi que j’ai capté encore plus leur attention. Certains pensaient au départ que j’étais un étranger. J’ai présenté comme d’habitude le projet SOHA, mais, comme je disais plus haut, en adaptant mon propos aux réalités du terrain. Par exemple, je n’ai pas utilisé le terme « enquête », mais plutôt « collecte des réponses à un grand questionnaire » sur la situation des étudiants. Utiliser le terme « enquête » aurait pu faire peur aux étudiants et donner une mauvaise impression qui aurait fait que personne n’aurait répondu. Parler d’enquête peut donner aux gens à penser que ça les met en danger. En plus, quand on parle d’enquête à Abéché, c’est que les arrestations ne sont pas loin.
Et devinez la question en tête de liste : « c’est quoi, la Science ouverte? »
Et comme toujours, je ne me suis jamais fatigué de répondre à cette question.
Les étudiants de cette région ayant généralement une condition financière stable, ils avaient presque tous des ordinateurs et donc pouvaient répondre à la version Word du questionnaire. Mais pour que les choses aillent vite, j’ai distribué les questionnaires imprimés. J’ai expliqué comment il fallait répondre, mais cela n’a pas empêché que je fasse la ronde dans la salle pour aider quelqu’un à mieux comprendre.
Assis sur la table de devant, je remarquais des étudiants qui faisaient du bruit. Je regardais sur ma montre et je voyais qu’il était déjà midi et que nous étions un vendredi. C’est une région à majorité musulmane, donc il fallait aller à la Mosquée. J’y suis allé avec eux, en les attendant devant la porte sur le hangar. Ils en furent très contents et nous sommes revenus ensemble finir de répondre aux questionnaires. Cette seule journée avait donné beaucoup de réponses, sans tenir compte des questionnaires que j’avais distribués dans le quartier. À la fin de l’heure, je les remerciais de vive voix pour leur disponibilité en leur promettant les résultats dans un bref délai.
Ainsi ont pris fin mes voyages au nord du Tchad.
En novembre, je m’apprêtais à venir au Mali pour des raisons d’études. Comme on n’y avait enregistré que sept réponses, Florence me demanda dans un mail la possibilité d’y faire circuler le questionnaire. J’ai accepté, mais comme je ne connaissais personne à Bamako à part mon ami Idriss, Florence a fait circuler un mail aux étudiants maliens qui avaient déjà rempli le formulaire d’adhésion pour leur donner mon contact. Deux jours après mon arrivée à Bamako, un d’entre eux m’appela, en la personne de Lassana Togo. Nous avons pris rendez-vous et il est venu me trouver au sein de la Faculté de Médecine.
Nous avons ensemble élaboré notre plan d’action. Nous n’étions que deux alors que les Facultés de l’Université de Bamako étaient distinctes les unes des autres. Il fallait du renfort. J’en ai parlé à mon ami qui m’a mis en contact avec le Président des étudiants, Idriss Coulibaly. Nous avons aussi ajouté au groupe une étudiante en médecine, Aminata Mariam. Je leur ai envoyé un SMS pour leur fixer rendez-vous à nouveau dans les locaux de la Faculté de médecine. Tout le monde a répondu positivement. Au moment de notre rencontre, je leur ai brièvement expliqué comment nous allions procéder. Ensuite, nous nous sommes divisés en deux groupes. Comme Lassana avait une moto, je suis parti avec lui en ville pour visiter les différentes facultés, alors que l’autre groupe restait sur place à la Faculté de médecine.
Au Mali, je dois reconnaitre que ça n’a pas été facile. D’abord les étudiants étaient rares dans les facultés puisque les cours n’avaient pas encore repris. En suite, les quelques-uns que nous avons trouvés ne voulaient pas répondre au questionnaire, considérant que c’était sans intérêt pour eux.
Mais quand je commençai à leur faire comprendre qu’ils devraient répondre à ce questionnaire s’ils souhaitaient vraiment changer le visage de leur Université et leur situation, ils me prêtèrent un peu plus d’attention. Je leur faisais comprendre que les réponses à ce questionnaire aideraient à articuler les réformes et les domaines de formation en cours de réalisation. Je leur expliquais aussi les avantages pragmatiques de ce questionnaire et surtout de l’adhésion au projet SOHA. J’ai conclu mon argumentation en citant Gandhi : « si quelqu’un fait quelque chose pour vous sans vous, c’est qu’en réalité il le fait contre vous ». D’où la nécessité de répondre à ce grand questionnaire pour qu’on fasse les réformes pour vous, avec vous. Je leur ai aussi expliqué qu’il était dans leur intérêt de répondre à ce questionnaire, car il s’agissait d’eux-même et surtout de leur université. Et si jamais ils ne portaient ne serait-ce qu’un dixième d’importance à cet objet, alors ils devraient répondre au questionnaire et remplir le formulaire d’adhésion.
Alors un me dit : « faites voir votre truc, là, mais j’espère que ça ne prendra pas trop de temps, n’est-ce pas? ». Très rapidement je leur disais : « absolument pas ». Puis ils se sont assis sous les hangars, prêts à remplir le formulaire puis à répondre au questionnaire ensuite.
À la fin, comme à Dakar, j’ai ramassé tous les questionnaires répondus en vue du travail de saisie.
Voilà un peu comment s’est passé mon épopée en Afrique pour le projet SOHA. Une très belle expérience. Malgré les nombreuses difficultés rencontrées, ça été un tel honneur pour moi d’avoir la responsabilité d’administrer cette grande enquête qui, j’en suis convaincu, ne restera pas sans effet.