Auteur : Rency Inson Michel, Haïti
Rency Inson Michel a ouvert les yeux à la lumière à la Grande Rivière du Nord, une commune du nord d’Haïti. C’est là qu’il a fait ses études primaires et secondaires avec brio. Aîné d’une famille de cinq enfants, Rency Inson est détenteur d’un diplôme de DELF, de certificats de formation dans divers domaines tels la communication, le leadership et gestion de ressources… et de surcroit des certificats d’honneur et mérite pour des séances de formation qu’il a animées. Âgé aujourd’hui de 24 ans, Rency Inson est sur le point de boucler le cycle de formation en sociologie qu’il suit depuis octobre 2012 à la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’Etat d’Haïti. Très passionné par la recherche, il souhaite poursuivre sa formation universitaire jusqu’au niveau du doctorat et parvenir à se tailler une place de choix dans le monde scientifique.
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Koze Syans san baryè a rive nan zòrèy etidyan nan Inivèsite Limonad yo.
Si, pour un nombre croissant d’universitaires à Port-au-Prince, le mouvement de la science ouverte n’est plus
étranger grâce, entre autres, au colloque international organisé par le projet SOHA les 3 et 4 mars dernier, pour ceux des universités du département du Nord, c’était encore le cas jusque dans la matinée du vendredi 27 mai 2016. C’est à ce moment qu’a débuté avec un succès avéré une table ronde sur la science ouverte organisée à l’auditorium du Campus Henri Christophe de Limonade par le Réseau des Jeunes Bénévoles des Classiques des Sciences Sociales en Haïti (REJEBECSS-Haïti) épaulé par le projet SOHA. Depuis lors, un nouveau son de cloche carillonne sur ledit campus, provoquant des inquiétudes, attisant des espoirs et des passions pour la recherche, tout cela dans une perspective essentiellement citoyenne.
Cinq grandes présentations ont incarné ce son de cloche. Tout d’abord, celle de la professeure Florence PIRON qui, dans une vidéo, expose les raisons d’être du projet SOHA et ses cinq grands objectifs que je cite : faire une enquête sur les obstacles à la science ouverte en Haïti et en Afrique francophone ; créer des outils de formation sur la science ouverte ; sensibiliser les universités haïtiennes et africaines à deux piliers de la science ouverte : le libre accès aux publications scientifiques sous formes d’archivage et les boutiques de science ; créer un grand réseau de leaders de la science ouverte et réaliser une feuille de route sur l’avenir de la science ouverte en Haïti et en Afrique francophone. Elle a, par ailleurs, placé quelques mots sur ce qu’est la justice cognitive, le concept de base du projet SOHA. Quant à Lunie JULES (étudiante en sociologie à l’Université d’Etat d’Haïti) et Jean-Marie TREMBLAY (PDG des Classiques des Sciences Sociales) qui est lui aussi intervenu via une vidéo préenregistrée, ils ont consécutivement présenté l’histoire, les grands idéaux et les stratégies d’action du REJEBECSS et des Classiques des Sciences Sociales.
Wood-Mark PIERRE, étudiant en sociologie à la Faculté des Sciences Humaines et détenteur d’un diplôme en philosophie de l’École Normale Supérieure, a pour sa part, procédé à l’intelligibilité de la notion de science ouverte qu’il s’est efforcé de présenter, à partir de solides arguments, comme une stratégie de lutte contre l’injustice cognitive en milieu universitaire. Par la suite, à partir d’une adaptation que j’ai faite d’un exposé de la professeure Florence PIRON à Yaoundé via vidéo en date du 4 décembre 2015, j’ai étayé la thèse selon laquelle la justice cognitive est un concept essentiel pour théoriser la valorisation des savoirs scientifiques et non scientifiques d’Haïti. Pour y parvenir, j’ai opérationnalisé les concepts de justice cognitive et d’injustice cognitive, puis j’ai mis en lumière le négationnisme de la charte épistémique de la science positiviste vis-à-vis des savoirs locaux d’Haïti. Et comme Florence l’a fait, j’ai identifié cinq injustices cognitives et une alternative claire, viable et réalisable face à chacune d’elles. Enfin, le projet SOHA a été présentée comme un projet en quête de l’édification de justice cognitive en Haïti et en Afrique francophone.
À la suite de ce cycle d’interventions, les réactions des étudiants ont pullulé, à la fois dans l’auditorium où s’était tenue la table ronde et surtout dans la cour de leur campus. Certains posent le problème du droit d’auteur par rapport à la lutte pour le libre accès dans laquelle nous sommes engagés. D’autres avouent que notre projet est très novateur en ce sens qu’il ouvre leurs yeux sur d’autres conceptions philosophiques que le positivisme. En fait, j’ai découvert un état d’esprit vraiment critique du positivisme chez certains étudiants durant mes échanges avec eux. Cependant, je me suis rendu compte qu’ils ont une connaissance déficitaire des conceptions philosophiques et épistémologiques alternatives au positivisme. Il y a donc lieu pour le projet SOHA d’agir en conséquence. Je le recommande vivement !
L’aspect fondamental du projet de science ouverte qui a été le mieux compris et qui a trouvé l’accord total des étudiants et étudiantes ayant assisté à la table ronde, c’est certainement notre engagement en faveur du libre accès aux ressources scientifiques. En témoigne le jeune étudiant en psychologie Jean-Rico Paul : « ce qui importe beaucoup pour moi dans le projet, c’est la démocratisation du savoir ». Dadjena Volcy, étudiante en science politique, abonde dans le même sens que Jean-Rico et souligne que : « le plus grand problème pour
nous (étudiants), dans le cadre de nos travaux de recherche, c’est de trouver des données scientifiques sur le web. » Elle nous explique qu’ils ne connaissent pas toujours les sites où trouver en libre accès les ressources scientifiques dont ils ont besoin. Elle estime que le projet de science ouverte est un premier pas vers la solution de ces difficultés. De mon cêté, j’encourage vivement la réalisation d’une séance de formation sur l’utilisation des outils numériques et des logiciels capables d’armer ces étudiants dans le cadre de leurs travaux académiques.
L’aspect du projet qui a fait l’objet de beaucoup plus de controverses, c’est l’idée du dialogue égalitaire entre savoirs scientifiques et savoirs non scientifiques que nous soutenons. En fait, ce n’est pas l’essence de cet idéal qui a soulevé ces échanges, mais plutôt la stratégie d’action pour y parvenir. Les obstacles à cet idéal dans le cas d’Haïti ont été débattus avec des regards très divergents. Je peux citer des étudiants, dont Jean-Rico Paul, qui n’ont aucune criante dudit dialogue, encore moins avec l’alternative que la science ouverte juste propose face au mépris que subissent les savoirs non scientifiques. Pour lui, « la science ouverte doit être un outil de vulgarisation et de codification des connaissances du paysan haïtien ». Il croit que « les connaissances du paysan sont à considérer dans la construction des connaissances vouées au développement de la production agricole en Haïti. » Il plaide donc pour l’amplification de la science ouverte.
À tout prendre, cet événement a été pour moi un moment où mon empowerment a été mis à l’épreuve en me faisant prendre conscience d’un ensemble d’obstacles qui empêchent la pratique universitaire dans le nord d’Haïti d’être une praxis transformatrice. J’ai découvert à quel point la pédagogie de l’enseignement universitaire qui prévaut dans mon pays a pu étouffer le développement de la réflexivité estudiantine.
Cet événement a été pour nous, membres du REJEBECSS-Haïti, une opportunité de mettre des faits sur ces deux beaux mots : science ouverte; autrement dit, une manière de faire vivre la science ouverte en Haïti. Il représente donc un acte concret en faveur de l’avenir de la SOHA dans mon pays.
Je dois souligner que je suis particulièrement intransigeant face à l’idée que le projet SOHA, qui a su faire germer en moi une hardiesse de penser, soit conçu comme une forme d’aide humanitaire apportée à un pays « pauvre ». Ce n’est pas un faux projet. Ce n’est pas un projet qui crée des besoins là où il n’y en a pas. Il est un fait avéré qu’Haïti, ou tout au moins l’université en Haïti, a un besoin vital de ce projet. Du coup, les universitaires haïtiens se doivent de faire sien le projet SOHA et lutter pour sa pleine réalisation. Telle est ma motivation. Telle est notre motivation au sein du REJEBECSS-Haïti. Nous nous inscrivons en faux contre la logique qui pourrait faire du chiffre d’affaire le principal facteur qui définit la qualité de nos actions. Notre passion pour la cause de ce projet que nous portons à bout de bras et à juste raison est ce qui importe.