Une réflexion des enseignantes et enseignants du Groupe Scolaire Bilingue Omgba Marie-Claire (Mefou-Assi, Cameroun)
Le 5 octobre 2016, la communauté éducative célébrait la journée mondiale des enseignants, sous le thème : « Valoriser les enseignants, améliorer leur statut ». Pour l’UNESCO, ce thème englobe les principes fondamentaux de la Recommandation OIT/UNESCO concernant la condition du personnel enseignant adoptée il y a 50 ans, tout en mettant en lumière la nécessité de soutenir les enseignants que prévoient les Objectifs de développement durable (ODD). Plus spécifiquement, l’ODD 4 vise à « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». Cette impulsion positive que les organismes onusiens veulent donner au secteur éducatif est juste et noble, mais elle semble ne pas tenir compte de la complexité de notre écosystème. Le contexte éducatif est trop différent entre Paris et Yaoundé pour qu’une action globale agisse comme une panacée. Tout en saluant les efforts de la communauté internationale, nous souhaitons partager avec vous notre réflexion sur la question enseignante dans le contexte africain en zone rurale.
Dans le cadre des activités marquant la célébration de la journée mondiale des enseignants, nous, enseignantes et enseignants du Groupe Scolaire Bilingue Omgba Marie-Claire, avons tenu une table ronde le 4 octobre 2016 pour débattre du thème proposé par l’UNESCO. Plusieurs aspects ont été abordés, des difficultés rencontrées aux stratégies : le thème a été disséqué sur tous les plans. Les lignes qui suivent seront révélatrices de nos idées; avant d’y aller, nous vous proposons d’abord de découvrir notre école.
Présentation de l’école
Statut légal
Le Groupe Scolaire Bilingue Omgba Marie-Claire est le fruit d’une initiative privée de Thomas Hervé Mboa Nkoudou. La date du 4 août 2010 marque son début de fonctionnement, suite à l’arrêté 049/J2/4825 du ministère de l’Éducation de base du Cameroun. L’école est située en zone rurale, plus précisément à Mefou-Assi, Arrondissement de Mbankomo, Département de la Mefou et Akono, dans la région du Centre.
Historique
Loin d’être des entreprises à but lucratif, les écoles privées au Cameroun sont perçues comme un secours apporté à l’État, car celui-ci n’arrive plus à répondre à la demande. Cependant, il faut reconnaître que certains promoteurs privés font de ces écoles de véritables entreprises qui contribuent à la paupérisation. Ceci n’est pas le cas pour notre fondateur qui a pour objectif de permettre au maximum de jeunes d’avoir la chance d’être scolarisés à un coût tendant vers la gratuité. Partant de sa propre histoire, commune à celle de tous les jeunes du village, il devait quitter la maison à 5h du matin tous les jours, puis marcher durant deux longues heures pour se rendre à l’école. Cet exercice a contraint la majorité de ses congénères à abandonner très tôt les voies de l’école. Deux décennies plus tard, cette situation n’ayant toujours pas été corrigée par l’État, le fondateur a entrepris le combat pour le désenclavement intellectuel de cette zone rurale. C’est ainsi qu’avec l’appui des populations, il a pu obtenir de l’État la création en 2010 d’un Collège d’Enseignement Secondaire (aujourd’hui, Lycée Bilingue de Mbalngong). Conscient que l’État ne pouvait pas tout offrir au même moment, il a décidé de doter les tout-petits de la maternelle et du primaire d’un cadre scolaire de qualité pour leur épanouissement intellectuel. C’est ainsi que la même année (2010), il a créé notre groupe scolaire qui porte le nom de sa mère Omgba Marie-Claire, en reconnaissance du rôle de la femme dans la société.
Élèves et personnel enseignant
Aujourd’hui, l’école compte environ 200 élèves répartis dans les sections anglophone et francophone. Leur encadrement est assuré par un personnel de 12 enseignants anglophones et francophones, formés dans les écoles normales d’enseignement. Ces derniers n’ont pas été recrutés par l’État; dans l’espoir que cela arrive un jour, ils contribuent fièrement à la formation de la jeunesse camerounaise en enseignant presque gratuitement.
Infrastructures
L’école survit grâce à ses propres ressources, car elle ne bénéficie pas de l’appui de l’État, encore moins de celui d’un partenaire local ou étranger. Les salles de classe sont essentiellement faites en matériau provisoire (bois). Toutefois, nous espérons que la construction du nouveau bâtiment, déjà amorcée, pourra un jour arriver à son terme. Celui-ci abritera une infirmerie, une cantine, une bibliothèque, une salle informatique et des salles de classe. Mais pour l’instant, il ne s’agit que d’un rêve lointain. Nous avons aussi fait un forage qui nous permet d’avoir de l’eau potable et de ravitailler tout le village.
Voilà donc une présentation panoramique de notre école. Avant de passer dans le vif du sujet, nous avions jugé important de partager avec vous les difficultés que nous rencontrons au quotidien pour mieux nous faire comprendre.
Le débat: « Valoriser les enseignants, améliorer leur statut »
Ce thème a suscité deux principales questions en nous : qui sont les acteurs qui doivent intervenir pour que la valorisation des enseignants soit réalisable ? Comment fixer les conditions et les stratégies pour atteindre cet objectif ? Répondre à ces deux questions en les dissociant, c’est prendre le risque de perdre de vue les liens étroits entre ces questions. C’est pourquoi nous avons opté pour une réponse globale en termes de recommandations partagées selon les responsabilités des différents acteurs. Pour amorcer le débat, nous avons jugé nécessaire d’avoir l’avis de certains d’entre nous sur ce que représente l’enseignant, avant d’identifier les difficultés auxquelles il ou elle fait face quotidiennement.
Que représente l’enseignant?
Pour Owona Eric, l’enseignant est « le formateur de la société ». Quant à Toukam Clémentine, elle pense que « l’enseignant est le flambeau de la société ». Que dire de Djiebeng Pélagie pour qui « l’enseignant est un phare ». Bien que ces avis soient différents, ils convergent vers une seule idée : l’enseignant est le guide de la société. C’est ainsi que nous nous considérons.
Les difficultés quotidiennes des enseignants
Dans son allocution, le Directeur Engozo’o Francis a fait état du manque exagéré de matériel didactique et du fait que cela avait probablement des répercussions sur la qualité de l’enseignement. Tout en allant dans le même sens, Noël Alida a rajouté qu’en plus du manque de matériel didactique, les enseignants manquaient de possibilités de formation et de recyclage. Ils sont laissés à eux-mêmes et ne sont pas informés des avancées de la technologie qui, pourtant, a un impact sur les méthodes d’enseignement. Quant à Violet Bihndum, la Directrice de la section anglophone, elle a décrié les salaires instables et minables, « l’excès de travail, pire encore quand les classes sont jumelées ». Pour terminer, madame Obolo a mentionné les infrastructures insécuritaires et le mépris dont les enseignants font l’objet de la part des parents. Cette situation qui n’est pas propre seulement à notre établissement est caractéristique du contexte national en général et particulièrement du secteur privé.
Recommandations aux différents acteurs
De façon unanime, il appert que la communauté éducative, les promoteurs d’établissements et l’État sont les principaux acteurs qui doivent contribuer à la valorisation et à l’amélioration du statut des enseignants. Il n’y a que quelques enseignants, dont Vivian Bessem et Ambombo Evelyne ,qui ont précisé que l’enseignant lui-même avait une grosse part de responsabilité dans sa valorisation. Les recommandations suivantes ont donc été faites aux différents acteurs, en vue de la valorisation et de l’amélioration du statut des enseignants :
- Selon Evelyne, « l’enseignant doit se donner de la valeur à travers son habillement et son comportement »; à Bessem d’ajouter : « teachers should first value themselves and have confidence in what they are doing ».
- Omgba a parlé à la communauté éducative en demandant que les parents n’oublient pas que « l’enseignant occupe une place fondamentale dans nos vies, il est le formateur, le flambeau, le phare de la société; en tant que tel, toute la communauté lui doit du respect ». Par ailleurs, l’éducation des enfants ne doit pas être abandonnée aux seules mains des enseignants; l’appui parental est indispensable pour un meilleur suivi des élèves.
- Quant aux promoteurs d’établissements privés et à l’État, les enseignants n’ont pas du tout été tendres à leur égard. Noël Alida a signalé que leur implication était cruciale et qu’elle devait se faire sur les plans pédagogique et politique. À ce sujet, Engozo’o, Owona et Toukam sont unanimes : l’État et les promoteurs doivent fournir du matériel didactique aux enseignants. Evelyne et Obolo surenchérissent en disant qu’ils doivent renforcer les capacités des enseignants par des recyclages et des séminaires. Pour Catherine Berinyu, Bessem et Violette, « promoters of schools and state have to appreciate at least taking into consideration some minimum needs of the teachers before giving the salary; especially in our case in the private sector. State should support private schools promoters; because they help much ».
En somme, il s’agit là des recommandations auxquelles nous avons abouti lors de notre discussion.
Comment nous avons préparé ce billet
Quand vous lirez ce billet, il est important de savoir comment nous avons procédé pour que vous puissiez l’avoir sous cette forme. N’ayant pas d’ordinateurs à l’école, nous avons écrit nos idées sur des pages de cahier, à la main. Puis nous avons photographié ces pages manuscrites avec nos téléphones et nous les avons envoyés à Thomas qui est à Québec par Facebook. C’est de là que notre fondateur a synthétisé nos échanges dans le billet que vous lisez. Un bau travail collaboratif !
Conclusion
Pour terminer, nous pensons que la valorisation de l’enseignant et l’amélioration de son statut dépendent en grande partie de l’État et des promoteurs d’établissements privés. C’est en fonction de la façon dont nous serons traités que la communauté éducative nous considérera avec plus d’égard. Ceci aura pour effet nous mettre en confiance, d’avoir l’estime de soi et de pouvoir agir de façon autonome.
Si par un heureux hasard ce texte parvenait sur la table de nos dirigeants ou des responsables de l’UNESCO, nous leur disons tout simplement que la question enseignante mérite d’être pensée à partir des conditions extrêmes et dans sa diversité. Ceci veut dire qu’il ne faut pas se fixer un certain idéal que tout enseignant doit atteindre, ou à partir duquel on peut faire des simulations pour lui redonner sa dignité.
Les auteurs
I am Catherine Berinyuy, A diploma in computerized Accounting
Level one teacher of the anglophone section.
I am aunty Ngong Voilette Bihndum, from GTTC wum,
the nursery two teacher of Omgba Marie Claire
the nursery one teacher of Omgba Marie Claire
I am Mrs Arrah Vivian Besem, a degree holder in Law from the University of Yaoundé 2 Soa,
the Level 2 teacher of Omgba Marie Claire
Owona Éric, Enieg de Ngoumou 2011
Enseignant : CE1
Djabume Mbienkeu Noël Alida Enieg de Kousseri 2011, BACC D +3
Enseignante CE2
Toukam Clémentine, BACC et CAPIEM 2012
Enseignante SIL
Engozo’o Francis Maîtrise ( Histoire des Relations Internationales) ENIEG de KRIBI Enseignant CM1& CM2
DIRECTEUR du G.S.B Omgba Marie Claire
Mme Ambombo Évelyne, Enieg COBIE
Enseignante CP
Leuhen Seitou Corine, Enieg de Mfou
Enseignante Petite Section
Djuazong Djiebeng Pélagie, Capiem 2011
Enseignante Moyenne Section
Obolo Philomène Béatrice Épouse Ottou Enieg de Nanga-Ebogo
Enseignante Grande Section