L’action du REJEBECSS en faveur de l’accessibilité des savoirs haïtiens en sciences sociales

Auteure : Florence Piron, Université Laval

Cette initiative est née en Haïti en 2016, à la suite d’un colloque à Port-au-Prince invitant les étudiants et les étudiantes à redécouvrir le patrimoine scientifique de leur pays et à prendre confiance dans leur capacité à créer un savoir pertinent[1]. Ce colloque leur a aussi fait découvrir le web scientifique libre et ses millions de ressources, notamment la bibliothèque numérique indépendante « Les Classiques des sciences sociales » qui numérise et met en ligne en libre accès depuis 2000 des travaux anciens et actuels de sciences sociales. Enthousiastes, de jeunes Haïtiens ont fondé un mois plus tard le Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales (le REJEBECSS). Son coordonnateur, Rency Inson Michel, étudiant en sociologie, avait à l’époque 24 ans :

J’ai eu l’idée du REJEBECSS quand j’ai compris qu’une grande partie des classiques haïtiens en sciences sociales étaient de plus en plus inaccessibles. La génération d’étudiants à laquelle j’appartiens y accède difficilement. J’ai réalisé aussi qu’un seul exemplaire de chaque mémoire soutenu à l’Université est déposé à la bibliothèque. Donc, ce n’est pas sans souffrance qu’un étudiant peut parvenir à le consulter. En réponse, j’ai décidé de contribuer à pérenniser tous ces travaux en les diffusant sur les Classiques des sciences sociales, dans la collection Études haïtiennes.

Cette collection, créée en décembre 2013 et dynamisée par le REJEBECSS en 2016, contient en août 2017 près de 170 textes, dont les œuvres du très important sociologue haïtien Jean Price-Mars, le premier travail sociologique sur les femmes haïtiennes de Madeleine Sylvain-Boucheron, des travaux plus récents comme ceux de Georges Anglade, Laënnec Hurbon, Alain Gilles ou Maximilien Laroche, et 25 mémoires de licence ou de master sur différents aspects de la société haïtienne. Entre janvier 2014 et juin 2017, plus de 445 000 téléchargements ont été recensés, dont 120 000 pour les textes de Jean Price-Mars. Le travail de numérisation et de mise en ligne est effectué exclusivement par des bénévoles auxquels le REJEBCSS a décidé de se joindre, à commencer par Rency Inson qui a travaillé sur 16 des textes offerts :

En attendant que nous ayons notre propre salle de travail en Haïti, ma tâche consiste à sensibiliser les chercheurs haïtiens à autoriser la diffusion de leurs travaux en libre accès, à réviser attentivement les textes numérisés avant qu’ils soient mis en ligne pour éliminer toutes les coquilles et à m’assurer que ces productions numériques soient conformes aux textes originels. Nous nous battons pour trouver du financement pour nous équiper en vue d’être plus efficaces.

Au fil de ce travail bénévole, ces étudiants haïtiens découvrent la richesse des travaux sociologiques de leur pays, trop longtemps invisibles, et désirent y contribuer. L’exemple de ces jeunes passionnés de savoir, de plus en plus habiles dans la manipulation des outils numériques du libre accès, montre comment ce dernier peut devenir un outil de justice cognitive et d’émancipation épistémique. Il ne reste plus qu’à militer pour un droit collectif universel au web !

[1] Ce colloque est en partie à l’origine du livre Justice cognitive, libre accès et savoirs locaux. Pour une science ouverte juste, au service du développement local durable, sous la direction de Piron, Regulus, et Dibounje Madiba (2016), Éditions science et bien commun.

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