Par Thomas Hervé Mboa Nkoudou, doctorant, Université de Yaoundé 2 (Cameroun), membre du projet SOHA
Du 15 au 17 avril 2015, j’ai organisé et enseigné à l’École normale supérieure d’enseignement technique (ENSET) de Douala (Cameroun) un séminaire intitulé : Le « Libre accès » au service des chercheurs : comment réussir sa recherche à l’ère du numérique? Destiné aux étudiants de 3ème et 4ème années (Licence et Master) de la filière Économie sociale et familiale, ce séminaire est une retombée parmi tant d’autres de l’arrivée de la science ouverte en Afrique francophone, appuyée par le projet de recherche-action SOHA (« La science ouverte comme outil collectif de développement du pouvoir d’agir et de la justice cognitive en Haïti et en Afrique francophone ») dirigé par les professeurs Piron et Diouf. Vous vous demandez certainement quel est le lien entre le séminaire et ce projet et, plus précisément, le RISOHA, c’est-à-dire le réseau de chercheurs et d’étudiants africains et haïtiens qui ont été mobilisés par le projet SOHA et qui s’intéressent de plus en plus à la science ouverte ? Les lignes suivantes vous le diront. Mais auparavant, une petite immersion dans l’univers de la recherche dans le contexte africain est nécessaire, afin de comprendre la motivation qui a été à l’origine de ce séminaire.
La recherche documentaire : un luxe pour les chercheurs et chercheuses du Cameroun
Au Cameroun, les bibliothèques, les polycopiés et Internet constituent les principales sources documentaires des chercheurs. En effet, dans toutes les universités d’Etat du Cameroun, il existe des bâtiments qui font office de bibliothèques centrales. Mais celles-ci ne sont que des « coques » qui contiennent des documents largement dépassés dans le temps, mal rangés et parfois sans pertinence. Pire encore, les travaux des chercheurs appartenant à ces universités y sont introuvables, non répertoriés. Dans un élan de solidarité, les enseignants essayent tant bien que mal de soutenir leurs étudiants en leur permettant de faire des photocopies : des anciens articles (des revues auxquelles ils sont abonnés), de leur mémoire ou thèse, des livres qu’ils ont rapportés des pays du Nord. Face aux devoirs non remplis des bibliothèques et malgré le soutien de fortune des enseignants, les étudiants camerounais se sentant toujours désarmés pour mener des recherches actualisées et de qualité se dirigent massivement vers internet et les TIC à la quête d’informations up to date. Mais force est de constater que cette ruée vers Internet ne semble pas résoudre le problème des informations à jour, car les bibliographies des travaux présentés recèlent toujours très peu de documents récents et beaucoup de références mal citées… N’ont-ils pas accès aux ressources d’Internet ? Ne savent-ils pas faire la recherche sur Internet ? Sont-ils informés des possibilités qu’offre Internet ?
Le numérique : une opportunité à saisir
Tel un effet de mode, il est fréquent de constater dans les universités camerounaises que les programmes offrent au moins un cours de TIC. En réalité, dans la plupart des cas, ce cours se limite à une présentation du logiciel Word, à la recherche sur Google et à la messagerie sur yahoo. La conséquence est alors que nos chercheurs se limitent à saisir des textes sur Word, à envoyer des mails sur yahoo, à chatter sur Facebook et à faire la recherche sur le seul moteur de recherche qu’ils connaissent : Google. À leur grand dam, ils tombent généralement sur des articles payants et ce, dans un contexte où la situation économiques des chercheurs n’est guère enviable, où les bourses d’études sont rares, où nos universités ne peuvent pas faire déplacer des enseignants de classe mondiale et j’en passe. Devons-nous nous laisser aveugler par ces cours sur la première compétence de l’alphabétisation numérique (Cf référentiel des compétences TIC de l’UNESCO) ?
Il y a pourtant tellement d’opportunités comme les MOOC, le libre accès (les archives ouvertes, les revues ouvertes en ligne), les logiciels libres, les bibliothèques numériques, le e-learning, les biens communs, en bref la science ouverte, qui pourraient être utilisées avantageusement par les chercheurs camerounais. Je suis convaincu que l’Afrique, grâce à la recherche, peut sortir du sous-développement, s’affirmer sur la scène internationale du savoir et redorer le blason des chercheurs locaux, ainsi que revaloriser notre culture.
C’est donc sur la base des constats que je viens de présenter et usant de mes convictions personnelles sur l’importance du numérique pour l’Afrique que j’ai organisé ce séminaire. Comme vous le verrez dans le paragraphe suivant, ce séminaire a hérité des ressources du projet SOHA, de sa volonté d’ouvrir la science et de considérer les savoirs comme des biens communs.
Le séminaire de Douala: la main tendue du RISOHA…
Comme le dit cet adage africain, « pour voir plus loin, il faut se placer sur les épaules d’un géant » ; ce géant, c’est le RISOHA. En effet, dans le cadre du projet SOHA, le RISOHA et l’Université d’État d’Haïti ont organisé un colloque le 27 Mars 2015 à Port au Prince (Haïti) intitulé La science ouverte et le libre accès dans les universités haïtiennes : état de la situation et propositions. La professeure Florence Piron y a fait un portrait d’ensemble de la science ouverte. Or cette conférence avait une particularité : la mention, dans sa présentation powerpoint disponible sur le site Slideshare, de l’insigne CC-BY, représentant la licence Creative commons. Cette licence me donne – donne à tous – la possibilité de télécharger, de copier, de diffuser et de modifier le contenu de la présentation pour d’autres finalités.
Cet insigne n’est rien d’autre qu’une main que le RISOHA nous tend pour hisser tout le monde au même niveau de connaissances. J’ai saisi cette chance et j’ai organisé le séminaire à la lumière de celui dont avaient bénéficié les étudiants haïtiens.
Les acquis du séminaire
Au terme du séminaire, le blog www.esfdla2015.wordpress.com a été créé par les étudiants, et étudiantes pour signifier leur présence sur le web et présenter les nouvelles compétences acquises. Ce site ne leur a rien coûté car il a été fait avec le logiciel libre WordPress.
Tout comme les étudiants haïtiens, ces étudiantes et étudiants camerounais savent aujourd’hui :
- Ce que c’est que le libre accès,
- Les droits que confère la licence Creative Commons
- où chercher des articles de qualité et non payants,
- comment publier leurs travaux (voie dorée, voie verte)
- comment gérer les références bibliographiques avec le logiciel libre Zotero. Il faut avouer que ce logiciel libre a fait sensation auprès des étudiants, comme le démontrent les vidéos suivantes.
Interview 2: https://www.youtube.com/watch?v=OD4xPYktptU&feature=youtu.be
Interview 1: http://www.youtube.com/watch?v=Jgzc0jhL-yI
Au terme de ce séminaire, je pense que le projet SOHA n’a jamais aussi bien porté son nom : La science ouverte comme outil collectif de développement du pouvoir d’agir et de la justice cognitive en Haïti et en Afrique francophone : vers une feuille de route (projet SOHA). Haïtiens et Africains, nous sommes dotés d’un nouveau pouvoir qui nous permet d’agir sans contraintes financières et sans barrières spatiales ou temporelles. Laisserons-nous échapper cette chance qui nous est offerte de sortir du sous-développement?