Le Togo dit «woezon» (bienvenue) au projet SOHA!

Auteur : Carlos Kudéabo, 23 ans, est  l’un des premiers membres actifs du collectif SOHA au Togo. Titulaire d’une licence en Communication, Carlos a dirigé au Togo  l’équipe qui a assuré la collecte de données dans le cadre de la grande enquête SOHA. Passionné par la communication, il rêve de faire de l’Afrique un continent où l’accès à l’information sera la chose qui manque le moins. Le projet SOHA est donc un peu pour lui le cadre extraordinaire pour aller vers la réalisation de son rêve. Pour lui écrire: kudcarl2@gmail.com

 

En éwé, langue largement parlée au sud du Togo et l’une des deux langues nationales du pays, «weozon» signifie «bienvenue!» L’accueil réservé au projet SOHA à l’Université de Lomé, la plus grande Université publique du Togo, a connu un succès dépassant les espérances. Carlos Kudéabo, chef de l’équipe qui a assuré à Lomé la collecte de données dans le cadre de la grande enquête SOHA, nous fait revivre à travers ce récit les grandes étapes de cette mission marquant l’introduction du projet SOHA au Togo!

L’aventure du projet SOHA au Togo, ou du moins l’épisode relatif à la collecte des données à Lomé, a commencé par un coup de fil par une après-midi ordinaire du mois d’octobre 2015. Alors que le soleil de plomb qui a écrasé la ville de Lomé toute la journée achevait peu à peu sa course vers l’horizon lointain, je reçus un appel téléphonique pour le moins inattendu. Au bout du fil, une voix chaleureuse que je n’étais pas sûr de connaître m’interpella en ces mots: «Bonsoir Carlos. Je m’appelle Jean-Baptiste et je t’appelle du Québec. C’est Cyrille Amétépé qui m’a donné ton numéro de téléphone», me dit mon interlocuteur.  Achevant à l’époque ma Licence en communication à l’Université de Lomé, j’étais en stage dans une organisation non gouvernementale togolaise, et Cyrille dont parlait Jean-Bpatiste était mon directeur de stage. Je comprendrai plus tard que mon interlocuteur-surprise de cette après-midi d’octobre était Jean-Bpatiste Batana, Togolais résident au Canada, étudiant en relations publiques à l’Université Laval et membre actif du réseau SOHA. Ce dernier m’a fait part alors du souhait de la coordination du projet SOHA d’étendre ses activités au Togo et qu’il avait été chargé de trouver des étudiants dynamiques pouvant conduire une collecte de données dans les Universités du Togo. Séance tenante, Jean-Bpatiste m’expliqua brièvement le projet SOHA ainsi que la science ouverte, et me conseilla de visiter dès que possible le site du projet (www.projetsoha.org) pour en apprendre davantage.

À la fois séduit par ce concept nouveau pour moi et la tête pleine d’interrogations, je courus vers le premier Cybercafé (ce sont des centres très nombreux à Lomé et dans toutes les villes du Togo où l’on peut avoir accès à l’Internet moyennant quelques pièces de Francs CFA) et je visitai rapidement le site du projet SOHA pour avoir une idée assez claire de la chose. C’est ainsi que j’ai accepté volontiers  de me lancer dans cette belle histoire qui va me permettre aussi d’apporter ma contribution à l’amélioration de la situation des étudiants et des chercheurs togolais et africains de façon générale. La mission était alors de mobiliser un grand nombre d’universitaires au Togo pour adhérer au collectif SOHA et participer à cette grande première enquête de terrain.

Contactée dans les mêmes circonstances que moi, Estelle Kpénima, étudiante en Communication des organisations à l’Institut des sciences de l’information, de la communication et des arts (ISICA) de l’Université de Lomé se joindra à moi. Au fil de l’aventure, s’ajoutera Prospère Batanado, étudiant en Sociologie de développement. Ce beau trio, animé par le profond désir de promouvoir une autre forme de science, c’est-à-dire une science plus accessible, plus inclusive et au service du bien commun, sillonnera durant plusieurs semaines, facultés, écoles et instituts de l’Université de Lomé, expliquant et faisant remplir au cas échéant formulaires d’adhésion et questionnaires d’enquête du projet SOHA.

Amener la science ouverte vers les gens

Avant le début de la collecte des données, plusieurs questions se sont posées à nous. D’abord quelle démarche adopter pour une mobilisation efficace et rapide du public-cible? Dans un contexte où Internet reste encore une denrée rare, comment motiver les gens à aller sur le web afin d’adhérer au collectif SOHA et surtout remplir le questionnaire? Quelles démarches communicationnelles adopter pour mieux partager les objectifs et valeurs du projet SOHA?

Après plusieurs échanges avec Jean-Baptiste, nous avons choisi la communication interpersonnelle, c’est-à-dire celle qui vise à aller au contact direct avec le public, en allant à la rencontre des étudiants sur le campus universitaire de Lomé. Nous avions ainsi la possibilité d’adapter le message aux différents interlocuteurs, de convaincre au besoin, de plaider, de répondre aux questions, d’écouter aussi les commentaires et avis. Dans un premier temps, sur 10 personnes approchées, à peine trois 3 (parfois moins) ont pu remplir le questionnaire en ligne. Plusieurs étudiants et étudiantes de tous niveaux prétextaient la mauvaise qualité de la connexion ou carrément leur inhabitude à se connecter à Internet. Afin d’accélérer la collecte des données, et en accord avec la coordination du projet, nous avions donc opté d’imprimer un maximum de fiches  d’adhésion et de questionnaires d’enquête  en vue de les faire remplir directement aux gens à l’Université de Lomé ou de les distribuer à ceux qui étaient intéressés mais qui proposaient de les remplir chez eux et de nous les rapporter ensuite.

Nous avions également envisagé d’autres éventualités. Il s’agissait par exemple, avec la pléthore de réseaux sociaux qui s’offrent à nous de nos jours,  de procéder par une stratégie de Community management pour amener un grand nombre de personnes  à connaitre  et à adhérer au projet SOHA et  à  la science ouverte au Togo. Cette option nous aurait sûrement permis d’épargner en ressources et en énergie, mais la question de l’atteinte des résultats escomptés se posait. Si dans d’autres pays comme le Tchad et le Sénégal, cela a marché avec succès, il nous a fallut toujours garder à l’esprit la réalité contextuelle de notre pays. C’est dans ce sens que nous avons opté pour un travail de terrain qui a permis d’avoir un contact physique avec les universitaires, d’échanger sur le bien-fondé de la science ouverte, et surtout de faire étendre le réseau au Togo. Néanmoins nous ne nous sommes pas privés de nos réseaux relationnels personnels (notamment via Facebook) pour faire passer le message.

Un travail de terrain à la fois laborieux et passionnant

Pour mener à bien notre mission à l’Université de Lomé, Estelle, Prospère et moi avions fait un listing des différentes facultés et écoles présentes sur le campus. Par rapport aux jours de cours de chaque faculté et à notre disponibilité,  chacun de nous avait également élaboré son planning personnel. Chaque membre de l’équipe ayant à sa disposition les fiches et questionnaires imprimés, avait la possibilité de parler du projet autour de lui et surtout au campus selon le planning établi, et de faire remplir les fiches quand c’était possible. Nous nous approchions  souvent des groupes d’étudiants dans les amphis, les cantines, les airs de jeux. A la fin de chaque semaine nous faisions un point sur l’évolution de la collecte des données. Ce point nous permettait de partager les expériences vécues, les feed-back reçus des étudiants rencontrés au cours de la semaine, les difficultés rencontrées, les perspectives et améliorations à apporter à la  démarche.

Même si, comme je disais plus haut, nous essayions de nous adapter selon la personne ou le groupe de personnes rencontrées sur le terrain, le discours que nous tenions était à peu près le suivant:

«Bonjour, connaissez-vous la science ouverte ? C’est une nouvelle manière de mettre le savoir au service du bien commun. Elle réduit l’écart entre la société et la communauté scientifique et supprime la frontière entre les savoirs dits scientifiques et les savoirs locaux dits non conventionnels. C’est ainsi qu’une équipe de chercheurs internationaux vient de lancer un grand projet (projet SOHA) pour la promotion, l’introduction et l’appropriation de la science ouverte dans les Universités d’Haïti et d’Afrique francophone. Pour cet faire elle lance également une grande collecte de données pour comprendre et mettre en exergue les difficultés et réalités que rencontrent les pays du sud et les obstacles à l’application de la science ouverte dans les Universités. J’appuie cette équipe de recherche au Togo et c’est avec plaisir que je vous invite à participer aux activités du projet SOHA. Plus précisément, je vous invite à devenir membre du collectif SOHA et à participer à sa grande enquête sur la situation des universitaires d’Haïti et d’Afrique francophone.»

Disons globalement que le concept de la science ouverte a été accueilli à la fois avec beaucoup d’intérêt et de questionnements quant à ses objectifs et à ses avantages pour les étudiants togolais. Les questions qui revenaient en boucles sont pour certaines d’une pertinence évidente et pour d’autres à la limite surprenantes :

«Qui est l’initiateur du projet?»; « qu’est ce que je gagne à faire partie du collectif ? » ; « quelles sont les activités que nous allons mener une fois que nous avons intégré le collectif? » ; «est-ce que ce n’est pas encore une stratégie du gouvernement pour nous faire oublier nos revendications?»; « l’adhésion au collectif est-elle totalement gratuite ? Si oui, le restera-t-elle toujours? »; « nous qui n’avons pas accès à Internet, pouvons-nous aussi participer pleinement aux activités dudit projet ? » ; « pensez vous que ce projet à un avenir  avec le faible taux d’accès à  Internet  au  Togo? »

Les questions concernant les objectifs, avantages et activités du projet nous ont permis de bien expliquer en long et en large la science ouverte, le projet SOHA et surtout le libre accès. Quant aux problèmes d’accès à Internet, il faut dire qu’on observe une sensible amélioration qui nous fait croire que les autorités en font une de leurs priorités. D’ailleurs le ministère de l’économie numérique annonce un certain nombre de projets d’envergure dans ce sens pour cette année 2016. Nous espérons que ces annonces prendront forme pour le bien de tous et de la science ouverte en particulier.

Nous avons mis l’accent sur le contact direct

Pour parler du projet et surtout persuader les gens à y adhérer, nous approchions généralement  des groupes d’étudiants qui toujours avec une  grande curiosité demandaient à jeter un coup d’œil aux fiches d’adhésion et d’enquête. D’une manière générale, après des explications bien approfondies et des échanges, la plupart d’entre eux manifestaient leur désir d’intégrer le collectif pour jouir des avantages précités. Néanmoins, le caractère volumineux des fiches d’enquête posait problème parfois et décourageait certains étudiants qui disaient n’avoir pas assez de temps pour les remplir sur place. Nous leur proposions alors de les garder afin de continuer par les remplir  chez eux et de nous les rapporter dans un délai de 48h au campus. Mais la grande difficulté a été le retard que nous avons accusé dans la collectes des fiches laissées aux étudiants. Alors que certains ont respecté les délais fixés, d’autres ont mis plus de temps. Nous avons même dû relancer d’autres à plusieurs reprises avant de pouvoir récupérer les fiches remplies. Il faut également ajouter le fait que certains enquêtés ont mal rempli les fiches d’enquêtes et d’adhésion, rendant plus difficile l’autre étape de notre travail qui est la mise en ligne des données. Mais de façon générale, cette stratégie nous a permis d’engranger des résultats intéressants.

La mise en ligne des données: un travail méticuleux

L’autre étape cruciale de notre mission a été le travail de saisie et de mise en ligne de toutes les données recueillies sur le terrain afin de les rendre accessibles à l’équipe du projet SOHA en charge du traitement et de l’analyse. Les fiches imprimées et déjà remplies devraient donc être mises en ligne dans la grande banque de collecte des données du projet. Chaque fin de semaine nous nous rendions dans un cybercafé afin de faire entrer une à une les données recueillies sur le terrain. Il fallait être très rigoureux pour porter fidèlement les réponses des enquêtés. Un véritable travail de fourmis qui exigeait concentration et calme. Nous avons su nous inspirer à cette étape de la sagesse africaine qui  dit: «la patience fait le charme du sage!»

L’un des soucis lors de la mise en ligne des données est relatif d’abord au fait que les questionnaires sont épais, mais aussi, comme je le disais plus haut, parce que certains étudiants n’ont pas forcément rempli les fiches dans les règles de l’art. Nous avions dû quand c’était possible, relancer les auteurs afin de reprendre ensemble quand c’était possible, puis de revenir ensuite pour la mise en ligne. En outre, la connexion Internet n’a pas parfois été notre alliée à cette étape. En raison de la mauvaise qualité de l’Internet, la mise en ligne d’une fiche d’enquête nous prenait parfois jusqu’à une heure d’horloge. Mais parfois lorsque les dieux de la technologie étaient avec nous, la rapidité de la connexion nous permettait de rentrer une fiche en vingt minutes.

Mais de façon générale, aucune difficulté n’a érodé notre enthousiasme et notre passion pour cette mission qui à nos yeux relevait même parfois d’un engagement vocationnel. On retiendra également l’engouement et la curiosité de la communauté universitaire du Togo face à ce projet. Le monde universitaire togolais étant miné par de nombreux problèmes, les étudiants espèrent  une nette amélioration de la qualité de l’information scientifique avec l’arrivée du projet SOHA. C’est du moins le feed-back que nous avons eu dans notre périple à travers toutes les facultés et écoles. Certains étudiants et étudiantes ont même émis le souhait de voir les activités du projet SOHA démarrer dans de brefs délais. Néanmoins une minorité plutôt dubitative s’interroge et se demande si le projet SOHA ne sera pas encore un projet de plus dans la liste des initiatives antérieures qui n’ont pu rien changer à la situation de l’étudiant togolais. Nous avons essayé à ce niveau d’expliquer, de plaider, de persuader, de semer de l’optimisme.

Personnellement, j’ai le sentiment que le projet a été bien accueilli par la communauté universitaire togolaise. L’emballement qu’a suscité cette première enquête auprès des étudiants me fait penser que le Togo  pourrait même prétendre servir de hub pour la science ouverte en Afrique francophone. Je sais qu’un début de réflexion est en cours quant à l’installation par le projet SOHA d’un pôle d’excellence de la science ouverte en Afrique. Nous sommes prêts à œuvrer pour l’aboutissement et la matérialisation de cette idée géniale et réitérons toute notre disponibilité à l’endroit de l’équipe de coordination du projet SOHA. Avec la collecte des données, nous ne sommes qu’a la genèse du projet au Togo, car le plus grand défi nous attend. Nous pensons qu’il urge de mettre en place très rapidement le réseau SOHA Togo afin d’éviter que la mobilisation suscitée par l’enquête de terrain ne s’effrite peu à peu avec le temps.  Nous avons déjà eu une séries d’échanges à ce sujet avec Jean-Baptiste et sommes en train de voir comment réunir un noyau de personnes qui, comme nous, comprennent le bien-fondé de la science ouverte et sont prêtes à s’engager en faveur de la justice cognitive. Ce noyau servira d’équipe opérationnelle servant d’interface et de courroie de transmission au besoin avec l’équipe de coordination. Néanmoins le réseau sera ouvert à tous et à toutes et œuvrera à l’expression de toutes les idées et suggestions.

A moyen terme nous devrions envisager d’étendre le réseau à toutes les Universités et institutions de formation supérieure du Togo. En attendant il nous plait de dire depuis Lomé au Togo à l’immense collectif SOHA: «bienvenue!» ou si vous voulez: «Woezon!» en éwé ou «Talidéou!» en kabyè, les deux langues nationales du Togo.

 

Complément:

Prospère Matonziboyou Batanado, 27 ans, membre actif du Réseau SOHA au Togo, est sociologue en fin de formation à l’Université de Lomé. Il est aussi Business Développer à l’Université virtuelle de Leadership des ambassadeurs du développement.

Estelle Kpénima, 19 ans, étudiante à l’Université de Lomé en Journalisme. Elle est membre active du Réseau SOHA Togo.