Auteur : Innousa Moumouni
Innousa est doctorant en anthropologie et études africaines à l’Université de Lomé au Togo. Très passionné par les recherches ethnographiques, il souhaite contribuer à la valorisation de la culture matérielle africaine. Gestionnaire du savoir (archiviste-documentaliste), Innousa est le responsable des ressources documentaires de la Présidence de la République du Togo. Membre de Madewa, une association de jeunes Togolais qui œuvre pour la promotion des richesses culturelles de l’Afrique sur tous les plans, il est également membre actif du collectif SOHA au Togo.
Le Vodou, sujet abordé par Innousa Moumouni dans ce billet, a ceci de particulièrement intéressant qu’il relève d’un patrimoine culturo-religieux commun à Haïti et à de nombreux pays africains dont le Togo, pays dont est originaire l’auteur. Cette réflexion est à la fois une mise en valeur des savoirs et savoir-faire locaux du Sud et un essai de leur établissement dans le patrimoine matériel mondial.
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Si le contact des peuples africains avec les cultures occidentales a mis l’Afrique sur le devant la scène culturelle contemporaine, cela a malheureusement coïncidé notamment avec la colonisation, ce qui a eu pour corollaire la relégation de certaines pratiques socioreligieuses au rang de l’irrationnel, au point d’occulter leur contribution à l’évolution du monde.
Or, ces pratiques relèvent de la cosmogonie africaine et illustrent certains savoirs et savoir-faire que l’on peut aujourd’hui encore exploiter à des fins rentables. Lorsqu’on parle de vodou avec les pratiquants, on se rend compte qu’au-delà « du folklore », cette religion regorge de savoirs dont l’application peut contribuer au développement des sociétés africaines. Dans notre quête de connaissance sur les savoirs locaux, nous avons pu établir une complicité avec plusieurs prêtres de l’aire culturelle adja-tado au Togo qui nous livrent, dans les lignes qui suivent, certaines connaissances astrologiques, minéralogiques, zoologiques, botaniques et pharmacologiques inestimables dont le vodou est la source.
Le vodou
Le mot vodou peut s’écrire de différentes façons selon le système d’appellation des sociétés qui le pratiquent en tant que religion : vaudou, voodoo, vodou, vodu, voudou, vudun, vaudoun. Dans l’aire culturelle adja-tado, l’on utilise souvent le terme vodou qui proviendrait de vodun, tiré de la langue Fon (parlée au Bénin). Il est composé de vo qui signifie « sacrifice » en langue Fon, et de du qui veut dire, dans l’acceptation spirituelle du terme, « sens ou essence ». Le vodou est un ensemble établi de croyances, de rites, de mythes à la structure particulière, fondé principalement sur des divinités organisées en panthéon. Il désigne ce qui est mystérieux pour tous, indépendamment du moment et du lieu, donc ce qui relève du divin (Bernard Maupoil, 1961). Le vodou est conçu comme :
une force immatérielle existant partout dans l’espace, mais à qui on peut assigner un point matériel ou les initiés peuvent l’invoquer par des formules connues d’eux seuls. La jarre encastrée dans les sanctuaires des grands dieux, certains rochers, certains arbres, certaines rivières ne sont pas le séjour permanent du Vodoun, mais en quelque sorte un lieu de rendez-vous convenu entre la divinité et ses fidèles, lieu qui se trouve sacralisé de par son contact privilégié avec la divinité (Poda, 1997 :1 4).
Plus qu’une religion, un mode de vie : une cosmogonie dont les origines sont africaines
Le vodou représente toute manifestation de l’univers qui échappe à l’humain (Claude Savary, 1975), mais à laquelle il s’attache profondément. C’est à juste titre que Amadou Hampaté Bâ (1962 : 45) a affirmé, au cours des rencontres internationales sur les religions africaines traditionnelles tenues à Bouaké en 1962, que l’animisme a un caractère universel, immédiat et de moralité. Il est alors marqué par « la spontanéité avec laquelle le fidèle voit Dieu dans tous les aspects de sa vie, il a le sentiment de la présence d’un Être divin en tout. Dieu étant partout, tout doit être respecté comme divin ». Les relations entre le vodou et les humains sont réciproques (Bernard Maupoil, 1943). Les humains s’adressent au vodou pour obtenir sa grâce; en contrepartie, ils doivent le revigorer à travers des rites.
Le vodou, au-delà de sa dimension religieuse, constitue aussi le socle principal des connaissances et des valeurs sociales, éthiques, politiques et religieuses dans l’aire culturelle adja-tado. Il crée ainsi une vaste et profonde connaissance astrologique et scientifique.
Vodou et les connaissances astrologiques
Les vodou ont, depuis des millénaires, développé une connaissance originale et approfondie de l’astrologie qu’ils ont explorée pour répondre aux besoins des adeptes et de la société en général. Leur observation du ciel pendant la nuit n’est pas une pratique anodine, mais plutôt scientifique, se basant sur des méthodes d’exploration de la voûte céleste. Il s’agit d’une pratique de division de cette voûte étoilée en constellations afin de pouvoir identifier les étoiles et leur position et définir leur fonction dans l’univers religieux par rapport aux événements qui vont se produire. C’est une manière de comprendre, de prévoir et d’améliorer les relations entre les humains et entre les humains et l’univers, de déterminer les changements et de comprendre les prédilections de chaque membre de la société. Les prêtres analysent la position des étoiles et l’influence que ces dernières ont sur l’existence humaine. Ils donnent ainsi, à travers cette scrutation du ciel, des indices aux initiés leur permettant de se détacher du doute afin de prendre des décisions moins en contradiction avec leur destin. Cette pratique astrologique rentre dans la vie socioéconomique et permet d’élaborer le calendrier agricole et les rites agraires y afférents. Les Adja ont montré à ce sujet que le culte des adjavi, ces petites étoiles qui sont des amas de seize couples d’étoiles jumelles formant la constellation des pléiades dans l’astrologie grecque et romaine, n’est qu’en réalité une pratique de programmation des périodes de l’année au cours desquelles les vodou se retirent de la terre pour aller rendre compte à Dieu. C’est une période garde-fou qui marque la fin du temps ordinaire et l’entrée dans les périodes sacrées. Elle exige de la part des humains le respecte scrupuleux des règles d’éthique, la paix, la réconciliation avec soi et les membres de son lignage et l’harmonie avec la nature, et permet d’aplanir les divergences sociales et politiques considérées comme sources de conflits. Le vodou, à travers cette pratique astrologique, permet un auto-jugement, une méditation sur sa vie et ses relations avec les proches parents. C’est donc une pierre angulaire de la cohésion sociale.
Vodou et les connaissances minéralogiques
Les connaissances vodou ne sont pas limitées à l’astrologie. La prospection du sous-sol est aussi à leur actif. Le règne minéralogique a fait l’objet d’étude. La découverte et l’utilisation des différents types de métaux, leur classification, leur typologie, leur fonction, leur propriété spirituelle et leur utilisation sont méticuleusement étudiées. Les métaux ne font pas seulement l’objet de vénération ou de pratiques cultuelles; ils ont aussi leur importance dans la vie socioéconomique. Les métaux comme l’or, l’argent, le cuivre, le bronze, le fer, l’aluminium ont fait l’objet d’une étude approfondie par les adeptes de la divinité vodu Egu, gérante des métaux et de toute activité nécessitant l’usage du métal. Dans l’imaginaire des Adja, ces métaux sont considérés comme l’incarnation des vodou, mais au-delà de cette réalité, c’est la maîtrise des techniques de l’extraction et de l’utilisation des métaux qui est au centre de ces pratiques. Des roches sont connues pour leur vertu thérapeutique : Axlixa kpé ou Azeguidi est capable d’éloigner le sorcier et Dosukpé, pierre ronde de couleur blanche et perforée au centre, est capable de provoquer l’énergie électrique ou la foudre.
La connaissance de l’univers minéralogique est nécessaire et constitue l’une des facettes des pratiques vodou. Presque toutes les roches sont connues des adeptes, non seulement par leur symbolisme, mais aussi par leur propriété physique qui est très indispensable dans l’installation des vodou. Le mineur qui doit commencer à enfoncer un coup de pioche dans les roches prendra soin de demander au préalable une permission à celles-ci. L’extraction des minéraux est dans cette logique soumise au respect de la nature, donc à sa protection.
Vodou et les connaissances zoologiques et botaniques
La tradition vodou manifeste une grande connaissance de la zoologie et de la botanique. Au sein des couvents vodou, le règne animal et végétal est également étudié. Les vertébrés, les invertébrés, les animaux à sang chaud et les animaux à sang froid sont également bien étudiés pour le respect de leur principe vital. C’est aussi par ce biais que les différents types d’espèce et d’essence de plantes, leurs rôles, leur classification, leur compatibilité et incompatibilité et les produits susceptibles d’être obtenus par différents dosages sont étudiés. La connaissance et l’étude des plantes occupent une place de premier plan dans les rites d’initiation. Plus l’initié évolue en connaissance des herbes, plus il monte en grade, car cela dénote sa maitrise des vertus et des secrets des plantes. Ils ont une connaissance bien précise des catégories de plantes (plantes chaudes, plantes froides). Ainsi, ils sont des botanistes avec des connaissances aiguës de la pharmacologie. Ils connaissent les différents dosages des substrats des plantes pour rendre les produits efficaces et peuvent contribuer à la protection de l’environnement.
Ces pratiques vodou ne se limitent pas à la connaissance de la biodiversité mais touchent aussi à leur protection et au respect légendaire de toutes les espèces. La sacralisation de certains animaux, l’omniprésence du totémisme et le culte des bois sacrés devienent aussi, en ce sens, un moyen de réglementer l’action de l’humain sur la biodiversité.
Au Togo et au Bénin par exemple, le nombre et la surface totale des forêts sacrées ne sont pas connus avec précision. Au sud du Togo, la surface moyenne d’une forêt sacrée est environ de 5,6 hectares. Beaucoup sont de petits bosquets qui dépassent rarement 200 m2. La richesse floristique moyenne des forêts sacrées du Togo est de 75 espèces par forêt. Cette richesse floristique augmente en fonction de la surface. Des inventaires botaniques réalisés dans 160 forêts sacrées du Togo ont permis de recenser 900 taxons, soit 28 % de la flore spontanée et introduite au Togo. Ces espèces sont regroupées en 529 genres et 110 familles, dont les plus représentées sont les légumineuses, les Rubiaceae, les Euphorbiaceae et les Moraceae pour les dicotylédones et les Poaceae pour les monoctylédones. Parmi celles-ci, une cinquantaine d’espèces n’avaient pas été recensées auparavant au Togo. Au Bénin, 69,4 % des forêts sacrées recensées ont une surface inférieure ou égale à 1 hectare, 18,3 % ont une surface comprise entre 1 et 5 hectares et les plus grandes forêts (égales ou supérieures à 5 hectares) représentent 12,3 %. La richesse floristique des forêts sacrées varie d’un type de forêt à l’autre et est comprise entre 3 et 55 espèces.
Références bibliographiques
Maupoil, B., 1961, la géomancie de l’ancienne côte des esclaves, Paris, Institut d’ethnologie.
Poda, M. P., 1997, « Legba un vodoun singulier du golfe du bénin » in Arts d’Afrique noire arts premiers, n° 104 , page 1 4.
Kuéviakoe, E., 2011, Sens et pratiques de la tradition Vodou au sud du Togo, mémoire de maîtrise en Anthropologie, Université de Lomé.
Rivière, C., 1981, Anthropologie religieuse des Ewé du Togo, Lomé, NEA